Qu’est-ce que le Prix Goncourt?

Une librairie française. crédit: Poly1505, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons

Le Prix Goncourt a été créé en 1903.

C’est LA distinction littéraire la plus prestigieuse en France. Elle est décernée chaque année par l’Académie Goncourt, une société littéraire renommée fondée par les frères Goncourt, Edmond et Jules, écrivains et mécènes du XIXe siècle.

Ce prix récompense « la meilleure œuvre d’imagination en prose de l’année », généralement un roman, bien qu’il puisse s’agir occasionnellement d’un recueil de nouvelles ou d’autres œuvres. Un jury de 10 membres de l’Académie Goncourt choisit le lauréat. L’ annonce de son nom se fait au mois de novembre au restaurant Drouant à Paris tous les ans.

Le restaurant même propose un menu Goncourt !

La récompense financière est symbolique, fixée à 10 euros, mettant l’accent sur l’honneur et le prestige du prix plutôt que sur le gain matériel. Cependant, les lauréats voient généralement une forte augmentation des ventes de leurs livres et une reconnaissance internationale.

Le prix est ouvert aux auteurs écrivant en français, quelle que soit leur nationalité, et concerne les œuvres publiées au cours de l’année.

Au fil des ans, de nombreux auteurs célèbres ont reçu le Prix Goncourt, consolidant leur place dans l’histoire littéraire. Parmi les gagnants notables, on trouve :

• Marcel Proust (À la recherche du temps perdu, 1919)

• Simone de Beauvoir (Les Mandarins, 1954)

• Patrick Modiano, prix Nobel (Rue des boutiques obscures, 1978)

• Marguerite Duras (L’Amant, 1984)…

En novembre 2024, le lauréat est Kamel Daoud pour son roman intitulé Houris.

Les romans de ce prix prestigieux sont souvent traduits en plusieurs langues. Ils ont, par conséquent, une renommée mondiale.

Le Prix Goncourt a une place fondamentale dans la culture littéraire francophone. Il met en lumière la richesse et la diversité de la littérature en langue française.

La pertinence de l’oralité dans la poésie de Léopold Sédar Senghor

Léopold Sédar Senghor (1906-2001) est une figure emblématique pour le Sénégal et la France. Il a été poète, écrivain, homme politique en France puis au Sénégal. Il a été un grand grammairien, le premier africain à intégrer la très prestigieuse Académie Française et il a développé avec Aimé Césaire, le mouvement politique et courant littéraire de la négritude. Amoureux de son Afrique natale, il a réussi à recréer son aura et sa noblesse à travers les techniques littéraires de ses poèmes et en particulier, à travers l’oralité, si chère à la culture africaine.

Pendant des générations et des générations, l’oralité était le seul vecteur de transmission du patrimoine culturel. Ceux qui sont chargés de cette transmission culturelle en Afrique sont les griots. Ils racontent de manière vivante des contes et des poèmes, parfois pleins de magie, aux nouvelles générations. Les griots sont invités aux grands événements familiaux et communiquent avec le public qui l’entoure. Cette interaction directe est fondamentale pour que l’héritage culturel se transmette efficacement d’une génération à l’autre. Les griots chantent leurs contes et histoires, ils dansent, ils miment et ils sont souvent accompagnés d’instruments de musique.

L’oralité a donné une dimension exotique et innovante à la littérature francophone. Elle est un véritable outil pour donner toute son ampleur aux mots utilisés par ses auteurs. C’est la rencontre de deux mondes : le monde de l’oral qui transmet de manière sonore des mémoires et le monde de l’écrit classique. L’oralité a apporté un nouveau souffle à la littérature de langue française et elle lui a ouvert de nouveaux horizons. Elle est omniprésente dans Ethiopiques, recueil de poèmes de l’ouvrage Œuvre Poétique, publié quatre ans avant l’indépendance du Sénégal, pays où Léopold Sédar Senghor deviendra le premier Président de la République en 1960.

Son œuvre poétique développe un style particulier qui s’inscrit dans le courant littéraire de la négritude.

Si vous lisez un des poèmes de ce recueil, vous verrez que Senghor fait toujours précéder ses textes d’une indication sur les instruments qui accompagnent le narrateur. 

Le tam-tam est un des instruments de prédilection mais d’autres instruments comme les kôras, les balafongs, les tabales sont utilisés pour accompagner les poèmes Congo et L’Homme et la Bête, par exemple.

Des instruments de musique plus classiques comme la flûte, l’orgue ou d’autres instruments issus du jazz peuvent aussi accompagner des poèmes qui traitent davantage de la culture occidentale. Un orchestre de jazz et un solo de trompette sont notamment impliqués dans le poème intitulé A New York. 

Le jazz est un courant musical crée par les Noirs du sud des États-Unis. Ainsi, Senghor rassemble tous ses « Frères » noirs du monde entier. Les instruments dépendent du thème et de l’impression que l’auteur veut mettre en valeur. Sans instrument, les poèmes perdent une partie de leur sens et de leur âme. 

Senghor a affirmé qu’il était d’abord inspiré par un rythme. Il écrivait ses poèmes de manière instinctive. Il attachait beaucoup d’importance aux sonorités. Il comparait ses poèmes à une partition de jazz où tous les paramètres sont essentiels. Il faut chanter le poème. Ce dernier fait vivre la culture africaine et rend sa dignité à la population Noire, trop souvent traitée injustement ou comme des citoyens de seconde zone à cause de l’esclavage et de la colonisation.

Le style est direct. Le « je » est présent pour montrer l’engagement du narrateur dans son combat. Senghor utilise un procédé de nomination. Il joue avec les connotations du lecteur et donne ainsi une plus grande puissance au vocabulaire qu’il utilise. 

La présence de répétitions, de parallélismes, de refrains montre l’aspect incantatoire et mystique de ses poèmes.

Il mélange les cultures et le vocabulaire d’origine étrangère pour créer un métissage culturel dans le but de montrer au monde qu’il n’y a pas de culture supérieure et que la culture Africaine est tout aussi importante que la culture gréco-latine et occidentale. Il appelle au respect de toutes les races.

 Senghor utilise la langue française comme une arme pour redonner ses lettres de noblesse aux cultures indigènes et aux populations locales des territoires colonisés. Son objectif était de convaincre que toutes les cultures et toutes les races du monde sont égales. La langue française lui permet de se faire entendre plus universellement.

L’oralité donne de la couleur, de la vie, du rythme et un métissage culturel sans précédent à la littérature francophone. Ses poèmes doivent être lus comme des partitions.

L’oralité donne de l’intensité au message de Léopold Sédar Senghor qui exprime son souhait de vivre dans un monde meilleur, plus égalitaire, dans le respect de tous les êtres humains, peu importe leur race. 

Asterix, an inspiring character in French culture

Asterix is a fictional French character who is famous for protecting his village from all invasions. It’s difficult not to think of the current situation in France where the French are fighting hard to protect their social benefits.  Can we make a parallel between Asterix called the “irreducible Gaul” and the French who have been going on strike and demonstrating since the end of January 2023? 

You may not have heard of Asterix but French people, young and old, have known him since childhood and feel a certain tenderness for this Gaul who tends to become more and more a symbol of the French. 

Asterix is a skinny blond-haired Gaul, who wears a helmet with wings. He is smart, brave and can be very strong physically when he takes the magic potion prepared by Panoramix, the druid of the village. His best friend is Obelix. The latter is tall, fat and has red braided hair. Obelix does not need to take the magic potion to be strong, he fell into it when he was little, consequently, he is always physically strong. He is friendly, funny and sweet with his little dog: Idefix. Asterix and Obelix both have a mustache. 

Tiffany Amrein, student in political sciences at Strasbourg University, says that Asterix is one of the reasons to be “proud of being French because like in the Asterix comic books, the French are portrayed as smarter (…) They are always the exception”.

In 2023, many  French people are angry about  the increased age of retirement: 64 years old, from 62. During the demonstrations against pension reform, some people acknowledged the comparison with the “irreducible Gaul” by being dressed up as Asterix but they clearly understand the difference between fiction and reality. Pension reform will directly impact their future and finances. Fighting for their social benefits is second nature for the French and going on strike has been a constitutional right since 1946.

The popularity of the character has been proven once more on February 1, 2023, when French director Guillaume Canet’s latest movie: Asterix and Obelix: The Middle Kingdom, was released in France. The opening was the most successful for a French-speaking movie in French movie theaters in 10 years: 466,703 people saw the movie the first day it was released, according to Le Monde.  Yann Tholoniat, Professor of literature at Université de Lorraine in Metz and demonstrator, says “the directors who make Asterix movies know that the French-speaking audience is captivated by this character.”

Asterix was created by René Goscinny and Albert Uderzo in 1959. Since then, the popularity of this character has become very important in French culture, in French-speaking countries and in many other countries all over the world. Nowadays, Asterix comic albums have been translated into 116 languages and regional dialects.

In 2023, Netflix will release a five-episode Asterix TV show, produced by Alain Chabat, the same producer as Asterix & Obelix: Mission Cleopatra, released in 2002. At that time, it was a major box office success: $128 million. 

The “irreducible Gaul” is the main character of 39 comic books. Conrad and FabCaro, the current illustrators of Asterix, who are continuing the work of René Goscinny and Albert Uderzo, are working on the 40th one. The first one was called Asterix the Gaul; it was released in 1961. 

Asterix also became the main character of animated movies. The first, was an adaptation of the first comic book. It was released in 1967. A little more than 20 years later, in 1989, he became the main theme of an amusement park near Paris: Le Parc Astérix, a competitor of Disneyland Paris. Ten  years later, in 1999, the first live-action movie was released. Christian Clavier and Gérard Depardieu were the main actors in  this first cinematographic adaptation of the comic book. Other live-action movies were released later:  Asterix & Obelix: Mission Cleopatra (2002) and Asterix and Obelix: The Middle Kingdom (2023), for instance.

Parc Asterix had 2.6 M visitors in 2022, a record for the park. Sebastien Finet, radio speaker for RFM Rhône Alpes, remembers the date of the opening of the park very well. It was on April 30, 1989. It was one of the first theme parks in France. He remembers having been amazed by the world of Asterix: “I was immediately hooked on this universe … To see the world of Asterix in the comics and to see it in real life with the village and the different countries found in the albums.”  

Asterix has become more and more popular over the years. He is even mentioned in rap songs! Booba and Jul, two rap artists, have mentioned Asterix and his magical potion to become even stronger to fight against enemies. 

Since the 1970’s, some French presidents have referred to Asterix by quoting some of expressions that appear in the comic strips. 

In August 2018, during a speech delivered in Denmark, President Macron compared the French population to “Gaulois réfractaires aux changements”, that is to say “Gauls who are resistant to change”. This definition created a scandal among the French population. Some French people thought that it was condescending. President Macron had to justify his words in another speech the same week: “It’s necessary to take a little distance from the social platforms. I love France and the French, whether you want to hear it or not, and I love it in all its components. I love them, those Gallic tribes. I love what we are”.  

Many in France are frequently demonstrating or going on strike because of pension reform. Asterix is a fictional character who is famous to be an “irreducible Gaul”. But according to Yann Tholoniat, “one could say that to a certain extent, of course, demonstrators are irreducible Gauls as they are described in the albums by Uderzo and Goscinny. Afterwards, one must think of the term “irreducible”, that is to say that they can’t be stopped. It happens that, in any case, Macron’s government uses everything it can to stop them”.

In the beginning, France was populated by Gauls but the comparison with “nos ancêtres, les Gaulois” (our ancestors, the Gauls) and Asterix has limits for the French. The Gauls that the French people know today are the Gauls from the Asterix stories, while the ancient Gauls who populated what is now France had different characteristics. According to the Franco-American Centre, which promotes French language, culture and heritage through educational programs, cultural activities and social events, the ancient Gauls were often farmers and knew the craft of metal-working.

The fictional Gauls are strong, funny and love enjoying life by eating a lot and partying, but they are also stubborn, disorganized, not subtle, not graceful and not always very smart.

Brett Lipshutz, an American Francophile and psychotherapist-in-training thinks that Asterix and his gang are “ a symbol of the old France”. Asterix is “typically French in the stereotypical sense of French”. Asterix may mean so much for the French because the France of the past is disappearing and they do not want that. Everybody speaks about Asterix with nostalgia, exactly like they speak about “the good old times”. 

The French are seeing their privileges disappear, they do not know what is in store for them in the future. Some demonstrators are attached to the past because they fear the future. The current context: inflation, war in Ukraine tends to make them even more worried and angrier.  

On March 16, 2023, Elisabeth Borne, the Prime Minister used Article 49.3 of the Constitution to impose the pension reform without having a National Assembly vote. 

Since January 19, 2023, there have been 11 days of demonstrations and strikes which have paralyzed the country. The next day of demonstrations will take place on April 13. The number of demonstrators is going down but the ones who are still demonstrating are not ready to give up and President Macron is becoming less and less popular. According to a BVA survey, his popularity rate has decreased since the use of Article 49.3, and only 28% of the French population still has a positive opinion of the President. The lowest percentage for Macron was 23% in December 2018 during the crisis of the yellow vests. We can wonder if the French will continue to resist and will be as victorious as Asterix in this battle against the government.

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Testimonies about the significance of Asterix in the life of 3 people, two French and an American. Different ages.

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In this video, you will see the interview of Yann Tholoniat, professor of literature at Université de Lorraine, in France. He’s also a demonstrator. He gives his opinion about the possible connection between Asterix and the demonstrators against pension reform in France.

Sources: https://asterix.com/ and https://en.wikipedia.org/wiki/Asterix

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There have been 11 days of demonstrations in 2023, the next demonstration day is planned on April 13.

Source: Ministry of domestic affairs

Emmanuelle Franks

Césaire / Senghor: L’oralité dans la littérature francophone

Comme nous sommes en mars, mois de la Francophonie, voici un article sur l’oralité dans la littérature francophone. Ce texte se base sur deux œuvres poétiques célèbres : Cahier d’un retour au pays natal de Aimé Césaire (1913-2008) et Ethiopiques de Léopold Sédar Senghor (1906-2001).

 

Un griot.
Un griot

Introduction :

 

L’oralité a donné une dimension exotique et innovante à la littérature francophone. Elle est un véritable outil pour donner toute son ampleur aux mots utilisés par ses auteurs. C’est la rencontre de deux mondes : le monde de l’oral qui transmet de manière sonore des mémoires, un patrimoine culturel et le monde de l’écrit classique. L’oralité a grandement contribué au développement de la littérature francophone. Elle a apporté un nouveau souffle, une nouvelle approche à la littérature de langue française et elle lui a ouvert de nouveaux horizons.

Pour développer le sujet de l’oralité, nous allons nous baser sur deux œuvres poétiques célèbres : Cahier d’un retour au pays natal de Aimé Césaire (1913-2008) et Ethiopiques de Léopold Sédar Senghor (1906-2001). Ces deux œuvres ont été choisies parce que leurs auteurs ont fortement contribué au rayonnement de la littérature francophone dans le monde entier. Césaire, auteur martiniquais et Senghor, auteur sénégalais se sont bien connus. Ils se sont rencontrés à Paris au Lycée Louis Legrand et suite à de longues discussions, ils se sont influencés dans de nombreux domaines. Césaire, lors d’une interview faite par Michel Field, a même affirmé qu’il a, grâce à Senghor, réussi à comprendre ses véritables origines en découvrant la noblesse de la culture africaine. En outre, ils ont tous les deux été de grands politiciens, de grands hommes de lettres et ils ont surtout été avec Damas, l’auteur dandy guyanais, deux des fondateurs du mouvement politique et du courant littéraire de la négritude. Ces deux hommes, qui n’étaient pourtant pas originaires de la Métropole, ont également marqué le patrimoine français. En effet, Léopold Sédar Senghor a été membre de l’Académie Française et Aimé Césaire a une plaque à son nom au Panthéon depuis 2011.

Dans leurs œuvres poétiques engagées, ces deux auteurs ont utilisé des techniques spécifiques et ont développé un style particulier, influencé par leurs véritables origines. Ainsi, on pourrait se demander, en se basant sur ces deux œuvres poétiques, comment l’oralité a contribué au développement des littératures francophones.

Dans une étude en trois parties, nous allons découvrir l’importance de l’oralité pour ces deux auteurs, leurs techniques pour donner un aspect oral à leurs textes écrits puis nous allons voir les effets de l’oralité sur la langue française. Mais avant cela, une présentation globale de ces deux œuvres s’impose afin de mieux comprendre leurs objectifs et le contexte dans lequel elles ont été écrites. Par la suite, je vais expliquer comment j’ai collecté les donnés pour réaliser cette étude.

 

Cahier d’un retour au pays natal de Aimé Césaire (1913-2008) :

 

Cahier d’un retour au pays natal est la première œuvre poétique publiée par Aimé Césaire. C’est un long poème original qui rompt avec les règles de la poésie classique qu’il maîtrise si bien. Il s’agit d’un long texte de 65 pages qui oscille entre l’écriture en vers et la prose. Il mélange les genres (le surréalisme et le chant incantatoire), joue avec la typographie, l’espace entre les phrases, la syntaxe, la longueur des phrases, la ponctuation, invente des mots et des expressions qu’il relie avec des tirets et marque ses mots de sa subjectivité. L’auteur est bel et bien présent tout au long de son texte rédigé entre 1936 et 1939. A cette époque-là, Césaire est de retour en Martinique, sa terre natale après des études supérieures à Paris. C’est à son retour sur l’île qu’il se rend réellement compte de l’influence néfaste du colonialisme français. Son poème exprime sa révolte et est le texte fondateur de la négritude.

Dans ce long poème, on peut distinguer trois parties distinctes qui représentent les étapes de sa réaction à son retour de la Metropole. Dans la première partie, Césaire fait une description désolante de son Ile. Dans la seconde partie, il se rend compte des aspects néfastes du colonialisme sur ses terres. Dans la dernière partie, il encourage ses « Frères » à réagir contre ceux-là et à changer le schéma dominants-dominés imposé par le colonialisme.

Le but de ce texte est de redonner ses lettres de noblesse à la culture créole, dont les racines sont dans la culture africaine, découverte par Césaire via son ami sénégalais rencontré à Paris,  Léopold Sédar Senghor. Il veut que les Martiniquais soient dignes et fiers de leurs origines et de leur couleur malgré l’oppression des colons européens et de leur culture. Il veut que les Martiniquais cessent de subir, qu’ils deviennent actifs pour retrouver leur réelle identité perdue. A travers ses mots, l’auteur vise les colons européens blancs racistes, il essaie, par conséquent de libérer son peuple d’une emprise culturelle néfaste, des coups de fouets donnés à son grand-père (ironiquement appelé « un très bon nègre »). Il pousse son peuple à se souvenir du passé pour renaître dans le présent et construire un meilleur avenir en accord avec ses valeurs originelles.

Son poème est particulièrement puissant et avant-gardiste pendant les années 30. En effet, à cette époque, la France est encore une puissance coloniale et la décolonisation des pays d’Afrique n’a pas encore commencé. Elle débutera réellement après le Seconde Guerre Mondiale et prendra fin avec l’indépendance de l’Algérie en 1962.

 

Ethiopiques de Léopold Sédar Senghor (1906-2001) :

 

Ce recueil poétique est dans l’ouvrage Œuvre Poétique. Son titre, Ethiopiques vient du grec « aithiops », qui signifie « noir ». Il a été publié en 1956 pour s’inscrire dans le courant littéraire de la négritude. Ce n’est pas la première œuvre poétique de l’auteur. Il a écrit Chants d’Ombres en 1945 et Hosties Noires en 1948 que l’on peut trouver avant Ethiopiques dans Œuvre Poétique. Contrairement à ces dernières, Ethiopiques est une œuvre qui s’interroge moins sur une crise de civilisation, c’est une œuvre plus politique et autobiographique qui évoque, par exemple, l’érotisme de la femme blanche en référence à ses expériences personnelles.

On peut distinguer trois parties dans cette série de 22 poèmes. Les huit premiers poèmes évoquent son rapport à l’Afrique, même si l’un de ces poèmes est intitulé New-York. Dans ce dernier, il retrouve avec plaisir l’influence de l’Afrique dans le quartier de Harlem. Dans les six suivants intitulés « Epître à la Princesse » dédiés à la Marquise Josephine Daniel de Betteville, la grand-mère de sa seconde épouse, Colette Hubert, Senghor dialogue avec une bien-aimée lointaine qu’il décrit régulièrement avec des éléments qui font penser au froid, l’opposé de l’Afrique. Il s’agit d’une relation épistolaire sous la forme de poèmes. Elle est pleine de lyrisme, de nostalgie et de romantisme. Cette partie est le fruit de la passion de son peuple africain et d’une femme éloignée géographiquement, qui pourrait être une métaphore de son amour pour le continent européen. Cette relation représente un lien entre l’Europe et l’Afrique. La troisième partie s’intitule « D’autres chants », c’est une série de huit poèmes aux thèmes variés : amour, valeurs morales… qui reflètent les remises en question et les réflexions philosophiques de l’auteur. Cette œuvre est complexe parce qu’on a l’impression qu’il y a un manque d’unité entre les poèmes. Mais le fil conducteur d’une partie à l’autre est la complexité de son auteur : ses origines, ses influences, ses ambitions et son expérience personnelle multiculturelle.

Ethiopiques est une œuvre qui concentre des réflexions de Senghor cumulées pendant de nombreuses années, elle a été publiée quatre ans avant l’indépendance du Sénégal, pays où il deviendra le premier Président de la République en 1960.

  

L’apport de l’oralité dans le développement des littératures francophones. Etude basée sur Cahier d’un retour au pays natal de Aimé Césaire (1913-2008) et Ethiopiques de Léopold Sédar Senghor (1906-2001) :

 

« Seule le rythme provoque le court-circuit poétique et transmue le cuivre en or, la parole en verbe », citation de la postface de Ethiopiques intitulée : Comme les lamantins vont boire à la source. Grâce à cette citation, nous pouvons comprendre que l’oralité est précieuse aux yeux de Léopold Sédar Senghor et de Aimé Césaire, en effet, elle fait partie de la culture de leurs parents et de leurs ancêtres. Elle devait faire partie de leurs œuvres littéraires pour être fidèles à leurs véritables origines et pour s’exprimer en accord avec eux-mêmes. On pourrait se demander ce qu’a vraiment apporté l’oralité au développement des littératures francophones. Pour répondre à cette question, nous allons tout d’abord étudier l’importance de l’oralité pour ces auteurs. En deuxième partie, nous allons nous concentrer sur les techniques utilisées pour traduire cette oralité dans des textes écrits. Finalement, nous allons étudier les conséquences de cette oralité sur des écrits en langue française.

 

I) L’importance de l’oralité pour ces deux auteurs

 

L’oralité fait partie intégrante de la culture africaine. Pendant des générations et des générations, elle était le seul vecteur de transmission d’un patrimoine culturel : des contes, des poésies… Celui qui est chargé de cette transmission culturelle en Afrique est le griot. Il raconte de manière vivante des histoires parfois pleines de magie aux nouvelles générations. Il est invité aux grands événements familiaux et communique avec le public qui l’entoure. Il y a une interaction directe fondamentale pour que l’héritage culturel se transmette correctement d’une génération à l’autre. Le griot chante ses contes et histoires, il danse, il mime et il est souvent accompagné d’instruments de musique. Par exemple, le tam-tam est un des instruments de prédilection de l’oralité chez ces deux auteurs. Senghor fait toujours précédé ses poèmes des instruments qui accompagnent le narrateur. Des instruments typiquement africains : les kôras, les balafongs, les tabales sont notamment utilisés pour accompagner les poèmes Congo et L’Homme et la Bête. Mais des instruments de musique plus classiques comme la flûte, l’orgue ou d’autres issus du jazz peuvent aussi accompagner des poèmes qui traitent davantage de la culture occidentale. Un orchestre de jazz et un solo de trompette sont notamment impliqués dans A New York… Le jazz est un courant musical crée par les Noirs du sud des Etats-Unis. Ainsi, Senghor rassemble tous ses « Frères » noirs du monde entier. Les instruments dépendent du thème et de l’impression que l’auteur veut donner. Sans instruments, les poèmes perdent une partie de leur sens et de leur âme. Dans la postface du recueil de poèmes que nous étudions, Senghor explique que les « poètes nègres » de l’Anthologie sont avant tout des « auditifs ». Il donne l’exemple des poètes gymniques de son village qui écrivent dans un état de transe quand ils sont sous l’influence du tam-tam. Senghor affirme qu’il est d’abord inspiré par un rythme, puis il écrit ces poèmes sans jamais avoir de plan précis à l’avance. Il attache aussi beaucoup d’importance à la diction du poème. Il compare ses poèmes à une partition de jazz où tous les paramètres sont essentiels. Le crieur a tendance à insister sur l’accent final du verset. Il faut chanter le poème.

Aimé Césaire, même s’il est Martiniquais est aussi issu d’une culture de l’oralité, en effet, les ancêtres des Antillais viennent d’Afrique, la population locale est, par conséquent, familière avec ce procédé de transmission culturelle. L’oralité fait partie de l’enfance des deux auteurs qui regardent leur passé avec nostalgie dans Ethiopiques et Cahier d’un retour au pays natal. A l’époque du « Royaume de l’Enfance », pour citer Senghor, la culture africaine était plus pure et était peu influencée par les colons. Au moment où Césaire et Senghor ont crée le mouvement politique et le courant littéraire de la négritude, c’est à dire pendant les années 30, la culture des ancêtres était sur le point d’être oubliée par la population locale, si influencée et manipulée par la présence de la culture européenne.

C’est pour la figuration de la mémoire que ces deux auteurs, qui ont tour à tour le rôle de griot et le rôle de porte-parole d’un peuple, essaient de faire revivre la culture de leurs véritables origines et de rendre sa dignité à la population locale Noire, trop souvent traitée injustement ou comme des citoyens de seconde zone à cause de l’esclavage et de la colonisation.

Nous avons pu voir que l’oralité n’est pas qu’un style, en effet, elle représente bel et bien une partie de l’identité des auteurs et de toutes les populations qu’ils représentent.

Comme l’oralité est l’expression spontanée et authentique de la pensée, on pourrait se demander quelles techniques ces auteurs ont utilisé pour passer de l’oral à l’écrit.

 

II) Les techniques littéraires pour passer de l’oral à l’écrit

 

Pour donner les aspects vivants, colorés, authentiques et directs de l’oralité à un texte écrit, Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire utilisent des techniques bien spécifiques.

Le rythme et la musicalité sont cruciaux dans ces poèmes pour que les auteurs atteignent leurs objectifs de revalorisation des populations Noires et de figuration de la mémoire. Ils maîtrisent de nombreuses figures de style. Ils jouent avec les sons et les répétitions en utilisant de nombreuses allitérations, assonances et anaphores. Ils jouent avec les épiphores, les prolepses (ils expriment des idées importantes à l’avance pour mieux réfuter les objections) et les analepses (les retours dans le temps).

Ils s’amusent avec les règles de ponctuation et la syntaxe française. La ponctuation dans l’œuvre de Césaire est particulièrement pauvre, tandis que Senghor ne respecte pas toujours ses règle; elle respecte des pauses respiratoires pour bien montrer l’oralité de son oeuvre.  Césaire crée des expressions construites avec une série de mots, reliés entre eux par des tirets. Ces derniers poussent le lecteur à avoir un certain rythme quand il lit ces expressions. Par exemple, « la danse il-est-bon-et-légitime-d’être-nègre ». Grâce à ce procédé créatif, il rend le message plus facile à retenir.

Dans la poésie des deux auteurs, le style est direct, c’est incontournable quand on veut imiter le style du griot. Le « je » est bel et bien présent pour montrer l’engagement du narrateur dans son combat contre les idéologies des colons. Il y a des questions directes, un émetteur et un ou des récepteurs. Nous reviendrons ultérieurement sur l’identité de ces récepteurs. En outre, les apostrophes, les interjections, les phrases exclamatives, les onomatopées font partie intégrale de leurs poésie : « Voum rooh oh », peut-on lire dans Cahier d’un retour au pays natal à plusieurs reprises et « Oho ! Congo oho ! », dans le poème Congo de Senghor.

Senghor utilise un procédé de nomination. Il joue avec les connotations du lecteur et donne ainsi une plus grande puissance au vocabulaire qu’il utilise. Césaire, quant à lui, utilise des néologismes comme « inattenduement » et joue avec la typographie, les espaces, les mises à la ligne pour que le message attire directement l’œil du lecteur.

La présence de répétitions, de parallélismes, de refrains montre l’aspect incantatoire, mystique et de rituel des poèmes. Dans l’œuvre de Césaire, les anaphores sont particulièrement présentes et leurs répétitions sont entêtantes. Dans Ethiopiques, Senghor utilise notamment l’animisme, qui est la croyance en une âme animant les êtres vivants, mais aussi les objets et les éléments naturels. Les deux auteurs sont véritablement des prophètes, des guides pour la population. Il y a un aspect liturgique dans leurs poèmes. On peut trouver des chants d’éloges comme Teddungal dans Etipopiques et des chants cérémoniaux. Les répétitions se font martellement comme s’il fallait retenir une leçon. Le lyrisme omniprésent et la présence de sentiments forts renforcent l’identification.

Nous avons vu que les auteurs maniaient avec précision les techniques littéraires pour rendre la transmission de leurs textes plus vivante et faire penser à l’oralité africaine qui leur est si chère.

On pourrait se demander quelles sont les conséquences de l’oralité et de toutes ces techniques sur la langue française.

 

III) Les conséquences de l’oralité en langue française

 

Tout d’abord, il faut savoir que Senghor et Césaire ont tous les deux dû faire face à des critiques parce qu’ils n’ont pas écrit directement dans leurs langues locales. Les Martiniquais voulaient que le texte poétique soit rédigé en créole et les Sénégalais voulaient que les poèmes soient écrits dans une des langues locales du pays. Mais le but des deux auteurs était bel et bien de s’exprimer en français. Ainsi, ils pouvaient également toucher l’élite de leurs pays et les Français. Ils avaient des choses à leur communiquer.

Toutes les techniques pour exprimer l’oralité, étudiées dans la seconde partie, montrent bien que ces deux auteurs maîtrisent parfaitement la langue française. Ils ont décidé de rompre avec les règles de la littérature classique pour mieux exprimer leur identité et pour faire passer leur message avec plus de conviction. Mais quand on observe l’effet donné à la langue française par ces auteurs, on se rend compte qu’il peut être perçu comme exotique par les lecteurs francophones. La forme des textes, leurs tournures, la puissance des syntagmes nominaux, le principe de nomination,  le vocabulaire parfois issu des langues locales ou d’autres langues vivantes ou mortes, rendent la langue française presque étrangère aux Français ! Mais Senghor adapte la ponctuation des poèmes, c’est à dire le rythme de ses phrases, pour les lecteurs français. Il explique dans la postface de Ethiopiques que le rythme d’origine peut également être préservé si ces textes sont lus en insistant sur l’accent majeur de chaque groupe nominal. Césaire, en plus du créole, utilise du vocabulaire d’Afrique et d’Amérique du Sud, par exemple, des mots d’origine portugaise et espagnole sont présents dans son texte poétique. Sans oublier que les deux auteurs, qui ont bénéficié d’études littéraires poussées à Paris, ont recours à des mots latins, grecs et font appel à du français archaïque. Breton disait à propos de Césaire : «  Un Noir qui manie la langue française comme il n’est pas aujourd’hui un Blanc pour la manier ». Cette citation prouve que l’auteur martiniquais et Senghor étaient des génies d’un point de vue linguistique. Ils ont mélangé les cultures et le vocabulaire d’origine étrangère pour créer un métissage culturel dans le but de montrer au monde qu’il n’y a pas de culture supérieur et que la culture Africaine, berceau de la culture antillaise, est tout aussi importante que la culture gréco-latine et occidentale. Ils appellent aussi au respect de toutes les races : «… je ne suis pas différent, ne faites pas attention à ma peau noire : c’est le soleil qui m’a brûlé », dans Cahier d’un retour au pays natal.

Nous avons pu remarquer que Césaire et Senghor ont utilisé la langue française comme une arme pour redonner ses lettres de noblesse aux cultures indigènes et aux populations locales des territoires colonisés par les Français. Leur objectif est de convaincre que toutes les cultures et toutes les races du monde sont sur un même pied d’égalité.

 

Conclusion :

 

A travers ces trois parties, nous avons pu voir que l’oralité a su donner de la couleur, de la vie, du rythme et un métissage culturel sans précédent à la littérature francophone. Les techniques littéraires de ces deux auteurs servent leurs messages de négritude. Leurs poèmes ont un aspect incantatoire qui doit servir à la transmission de valeurs et d’idées qui leur sont précieuses : retrouver et faire découvrir la culture des Noirs ; faire retrouver une dignité aux populations indigènes victimes des colons ; démontrer à l’univers que le métissage culturel est une force et qu’il n’y a pas de culture supérieure. Leurs poèmes sont bel et bien contre le racisme, le colonialisme et pour l’égalité des Hommes. La langue française leur permet de se faire entendre plus universellement et de communiquer plus facilement avec le colonisateur, responsable de la crise d’identité des populations indigènes. Ils jouent avec la langue de Molière pour donner à leurs poèmes un aspect auditif sans précédent à la littérature de langue française. Leurs textes doivent être lus comme des partitions et interprétés avec une diction spécifique pour donner au lecteur blanc un peu du rythme de parole du griot, pour que le lecteur européen devienne interprète de ces nouveaux sons venus de loin. Ces deux auteurs attendent des efforts de la part de leurs « Frères » noirs mais aussi des autres populations pour vivre dans un monde meilleur, plus égalitaire, dans le respect de tous les êtres humains, peu importe leur race. Dans la postface d’Ethiopiques, Senghor écrit : « Il m’a donc suffi de nommer les choses, les éléments de mon univers enfantin pour prophétiser la Cité de demain qui renaîtra des cendres de l’ancienne, ce qui est la mission du Poète ». Mais chaque mot est encore plus puissant et prend véritablement tout son sens quand il est dit en rythme.

 

Bibliographie et sources électroniques :

 

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