Merci à Eric Burt pour sa collaboration. Dans cet article, il fait part de son expérience pendant son apprentissage. Il explique de manière détaillée et scientifique ses observations de la compréhension orale en français alors que sa langue maternelle est l’anglais.
Compréhension sans compréhension : les mystères de la compréhension orale en langue étrangère.
J’étudie le français depuis six ans. J’adore cette langue et la culture française. Parmi les quatre compétences : compréhension/production écrite et compréhension/production orale, je trouve la compréhension orale la plus difficile à maîtriser. Je la travaille très dur : je prends beaucoup de cours de français, je reçois beaucoup d’aide de mes professeurs, et finalement j’écoute des programmes de radio : France Inter, France Culture et TV5 Monde plus d’une heure par jour, mais finalement mon progrès est très lent. Probablement que c’est naturel à cause du fait que j’habite dans un pays anglophone, mais je me demande s’il y a d’autres choses que je pourrais faire pour améliorer ma compréhension ?
D’abord je vais décrire mon expérience avec l’apprentissage du français en donnant toutes les méthodes que j’ai utilisées, en particulier en ce qui concerne la compréhension orale. Ensuite, après un certain temps je me suis rendu compte que la compréhension orale était très difficile à maitriser et je vais donner des exemples de ce que j’ai fait pour l’améliorer. Finalement, j’ai découvert une autre manière d’écouter pour mieux améliorer la compréhension et je vais donner les détails.
Je commence à essayer d’apprendre le français
Il y a longtemps, quand j’étais étudiant à l’université, j’étudiais le russe. Je me suis rendu compte que de penser dans une autre langue étrangère était très difficile. Oui, on peut traduire, mais comment penser sans traduction comme on le fait avec la langue maternelle ? Il me semble que c’est comme un certain type de magie ! À partir de ce moment-là, c’est devenu un but pour moi de le faire, mais que faire exactement ? C’était seulement une question de travailler dur ? En même temps, j’ai reçu mon diplôme et j’ai commencé à être scientifique. A l’époque, je n’avais pas le temps de poursuivre ce but. De plus en plus souvent, j’ai commencé à aller en France pour mon travail. Chaque fois en me disant que je devrais apprendre cette langue. Finalement, en 2010, j’ai décidé de le faire.
Le problème auditif : compréhension orale par rapport à l’écrit
Il est possible que la compréhension soit la compétence la plus difficile des à acquérir dans une langue étrangère. Pourquoi ? Probablement parce que pour les autres compétences, on peut avoir son propre rythme. Par exemple, quand on lit un livre et on voit un mot qu’on ne comprend pas, il est toujours possible de trouver ce mot dans le dictionnaire et de prendre son temps. Ce n’est pas le cas avec la compréhension orale : on dépend de quelqu’un d’autre pour établir le rythme.
D’abord pour pratiquer ma compréhension orale, j’ai écouté beaucoup de choses : la radio, la télévision, et bien sûr mes professeurs. Mais sans stratégie, Je ne comprenais pas beaucoup et j’ai décidé qu’il fallait avoir une méthode plus organisée.
Le but le plus important : reconnaître des mots
Après un certain temps, en étudiant le français, je me suis rendu compte que c’était très important de reconnaître les mots oralement même si je ne les comprenais pas. C’est à dire, de reconnaître un mot, peu importe sa signification. A première vue, il semblerait que ce ne soit pas très utile, mais en fait, si on peut le faire à 100%, la compréhension orale sera sur un pied d’égalité avec la compréhension écrite. Evidemment dans ce cas-là, la compréhension orale serait plus facile.
En général, c’est plus facile de reconnaître des mots écrits que des mots oraux. Grace à cette meilleure reconnaissance, c’est plus facile de comprendre des phrases écrites que des phrases orales. Alors, j’ai décidé que si je peux reconnaitre des mots à l’oral aussi bien que je peux reconnaitre des mots écrits, ce serait une grande étape parce qu’à ce moment-là, l’écriture n’aurait pas plus d’avantages par rapport à la compréhension.
Je découvre les podcasts !
Alors, j’ai commencé un projet d’écouter des choses en français plus de 30 minutes par jour. Pas pour la compréhension, mais seulement pour la reconnaissance des mots. D’abord, je n’ai rien compris puis j’ai compris seulement un petit peu. Mais, très rapidement, ma capacité à couper la chaîne parlée s’est améliorée.
Avec ma nouvelle capacité, j’ai commencé à réutiliser les traductions ponctuelles en anglais pour mieux comprendre en même temps. D’abord, la combinaison des deux était un outil très efficace. De plus, ma compréhension s’améliorait en même temps. Mais, finalement, la tentation de réintroduire l’anglais était un piège. Ça me limitait dans mes efforts.
La stagnation et les problèmes : il faut savoir résister aux tentations…
J’ai commencé ma stratégie pour améliorer ma compréhension orale il y a plusieurs années. J’ai fait des progrès après seulement plusieurs mois. Cependant, je suis arrivé à un plateau très rapidement et je suis resté là longtemps. Pendant que mes autres compétences continuaient à s’améliorer, mes progrès à l’oral se sont arrêtés. En fait, j’ai pris des cours à l’Alliance Française de Paris au niveau B2 récemment et je n’ai pas eu de problème avec quoi que ce soit sauf avec la compréhension orale. J’ai passé un examen là-bas et j’ai réussi toutes les parties sauf la compréhension orale où j’ai échoué complètement (les autres étudiants dans ce cours n’ont pas eu le même problème vraisemblablement parce qu’ils habitent à Paris définitivement) !
Que faire ?
Je suis revenu aux États-Unis un peu frustré. Mon but était-il impossible ? Ou, en tout cas, impossible en habitant dans un pays anglophone ? Peut-être, mais plusieurs de mes professeurs m’ont dit qu’il fallait mettre entre parenthèses ma langue maternelle. Évidemment, il faut écouter pour reconnaître des mots sans se soucier de la compréhension encore. Pour que cette méthode soit efficace, il faut arriver à un certain niveau intermédiaire afin qu’on ait un vocabulaire riche. Alors, j’ai fait ça et voilà : ma reconnaissance des mots a augmenté et ma compréhension a diminué de 40-50 % à 10 % !
Je me dis, pas de souci. Il faut que je me concentre sur des reconnaissances de mots seulement. C’est à la fois difficile et incroyablement important. C’est comme la méditation : il faut se focaliser sur une chose et résister à la tentation de penser à d’autres choses. Quand j’ai commencé à le faire correctement, voilà, plus de reconnaissance et petit à petit, je commençais à comprendre un peu, sans anglais. C’était un miracle ! Mais, je ne comprenais pas tout, bien sûr. Quand je reconnaissais un certain mot et que je savais que ce mot était très important pour la signification de la phrase, je ne comprenais pas la signification du mot exactement, mais c’était très difficile de résister à la tentation d’essayer de comprendre ce mot. Donc, j’étais motivé et j’ai commencé à traduire ce mot en anglais et finalement je le comprenais dans ce contexte-là et probablement la phrase aussi, mais là ce serait trop tard pour la prochaine phrase parce que pendant que je faisais ma traduction, la personne qui était en train de parler, continuerait et je n’entendrais pas ce qu’elle a dit. Voilà, le piège : je comprenais une partie de la conversation et manquerais complètement l’autre ! C’est pour cela, à mon avis, qu’il faut avoir des associations ou des connotations automatiques pour chaque mot sans référence à la langue maternelle. On ne peut pas augmenter ces connotations, si on utilise les traductions.
De plus, quand j’utilise la traduction en anglais, en même temps, j’éteins la compréhension française ! Mon processus de la traduction des mots clé en anglais, d’analyser et de retraduire était inutile. Pour faire la traduction je dirais que je change le mode d’opération de mon cerveau. Donc, c’est important de résister à la tentation de traduire pour deux raisons : 1) ne pas manquer les autres mots et 2) rester sur le « mode » français.
Les deux types de processus dans le cerveau
En général, nous avons deux types de processus à penser : analytique et automatique (ou intuitif). Pour une description de ces deux façons très intéressantes, voyez, « Gödel, Escher, Bach, an Eternal Golden Braid », Douglas Hofstadter, Basic Books (1979) p. 38 : voyez le mode mécanique et le mode intelligent. Dans le processus analytique on utilise la logique pour résoudre un problème. Dans le processus automatique, on arrive à la solution avec une certaine « gestalt » On peut dire que le réseau entier du cerveau travaille en même temps sur le problème automatiquement – c’est l’intuition.
Peut-être que c’est la même chose avec le langage. C’est à dire, la compréhension qui utilise la traduction à l’autre langue est « analytique » et la compréhension qui reste dans la langue cible est « automatique/intuitive ». Le premier processus est plus facile, mais moins efficace. En fait, je pense que la deuxième façon exige de changer, ou d’augmenter le réseau des neurones dans le cerveau et c’est à cause de cela qu’il faut beaucoup de temps.
Une analogie avec les ordinateurs
C’est comme un certain processus informatique. Avec les ordinateurs, on peut avoir plusieurs types de langages. Il y a des langages machines et des langages interprétés. Pour un langage machine, chaque instruction dans un programme informatique correspond exactement à une opération numérique dans le matériel informatique. C’est très efficace et très rapide. Pour un langage interprété, il faut traduire chaque phrase dans ce langage aux instructions machines et puis aux opérations numériques. Donc il y a une étape supplémentaire. Les langages interprétés sont plus flexibles et plus faciles à utiliser mais à la fois moins efficaces.
L’analogie avec le processus informatique : dans les langages humains, on peut simuler un langage étranger en utilisant une traduction en langue maternelle et puis interpréter toutes choses dans le dernier. On peut apprendre cette méthode très rapidement, mais finalement, c’est une méthode trop lente et inefficace. Pour compléter l’analogie, pour éviter l’étape supplémentaire, je pense qu’il faut changer le réseau neuronique dans le cerveau pour construire les nouvelles instructions de la « machine », et les opérations « numériques » dans le cerveau.
La situation ici est aussi très semblable à l’apprentissage de la lecture dans la langue maternelle : quand nous apprenons comment lire, d’abord, le plus souvent nous lisons à haute voix. Après un certain temps, nous lisons en silence. Finalement, si nous devenons de bons lecteurs, nous éliminons tous les éléments vocaux. Nous pouvons reconnaître les mots et comprendre leur signification immédiatement sans « traduction ».
La compréhension est-elle faite du côté droit du cerveau ?
Maintenant c’est très populaire de décrire les pensées comme des processus du côté droit ou du côté gauche du cerveau. On peut dire que les processus qui opèrent dans le côté droit du cerveau sont intuitifs et créatifs et ceux qui opèrent dans le côté gauche sont plus analytiques. Donc, dans ce contexte, l’apprentissage de la langue est semblable en pensant avec le côté droit du cerveau. Il y a une tentation de dire que le vrai apprentissage de la langue reste dans le côté droit. Mais, quand quelqu’un a un accident vasculaire cérébral, si le coté gauche est endommagé, on perd le langage alors que le coté droit reste intact. Mais pas l’inverse. En effet, si le côté droit est endommagé, la fonction du langage a des chances de ne pas être atteinte. Mais, en même temps avec le dommage dans le côté gauche, dans certains cas, le côté droit peut réacquérir une certaine partie du savoir-faire du langage. Finalement, c’est une question très compliquée parce que maintenant nous ne savons pas exactement comment fonctionne le cerveau ! Donc, selon les expériences scientifiques, ce n’est pas tout à fait claire dans quelle hémisphère du cerveau ces processus se déroulent (par exemple, E.D. Ross and M. Mesulam, « Dominant Language Function of the Right Hemisphere ? », Arch Neurol. 36, 144 (1979)).
L’apprentissage d’une langue : un changement du cerveau ?!
En tout cas, il est évident que le vrai apprentissage complet de la langue exige une certaine « évolution » du cerveau (par exemple, A. Mechelli, et al., « Neurolinguistics : Structural plasticity in the bilingual brain, » Nature 431, 757 (2004)). Il faut avoir des nouvelles structures neuroniques pour faire des connections de façon automatique entre les idées et les mots dans le langue cible, sans référence au langue maternelle. C’est à dire, on doit construire ou réutiliser les nouveaux groupes de neurones pour représenter les nouveaux mots directement. Celui-ci est presque automatique quand nous sommes très jeune (avant 6 ans). Selon le linguiste Stephen Pinker (The Language Instinct, Perennial Classics, 2000) à un très jeune âge, nous sommes tous des génies de langage. Après cet âge, l’apprentissage d’une langue devient de plus en plus difficile et nous utilisons d’autres outils, comme la langue maternelle pour faire de progrès. Mais c’est inefficace et c’est un piège parce qu’à ce moment-là le cerveau n’est plus aussi modulable.
Ce processus où on apprend quelque chose à un niveau plus bas (par exemple, la reconnaissance des mots sans compréhension) avant d’essayer d’apprendre un autre niveau plus haut, n’est pas très étonnant. La plupart des neurologues pensent que le cerveau est construit de façon hiérarchique. Donc c’est plus efficace de changer cette hiérarchie une seule couche à la fois.
Conclusion :
Pour mieux comprendre une langue étrangère, on a besoin de faire quelque chose de presque paradoxale : arrêter l’analyse et se focaliser sur l’écoute sans compréhension ! De plus, on doit 1) écouter activement : essayer de reconnaître chaque mot, 2) mettre entre parenthèses la langue maternelle (seulement après un certain niveau, quand on a assez de vocabulaire), et 3) après un certain temps, réintégrer les analyses, mais maintenant complètement dans la langue étrangère.
Il est clair qu’on a des compétences différentes dans les différentes parties du cerveau, et chaque personne est différente. Donc, pour apprendre une langue étrangère, il faut utiliser tous les outils possibles. C’est-à-dire que ce n’est pas efficace de rester seulement dans une méthode analytique ou une méthode intuitive, mais il faut utiliser les deux. De plus, toutes les stratégies sont vraiment personnelles : quelque chose qui marche très bien pour une personne, ne marcherait pas pour une autre. Il faut essayer toutes les stratégies et choisir celle qui marche bien pour la personne.
C’est évident que pour mieux comprendre oralement une autre langue, il faut rester dans cette langue autant que possible pendant l’apprentissage. D’abord l’utilisation de la langue maternelle est très utile, mais limite dans la démarche. Vraisemblablement pour comprendre une autre langue de façon automatique, on a besoin de changer ou d’ajouter des structures dans le cerveau. Chaque fois qu’on passe à la langue maternelle, on interrompt ce processus et il faudra plus de temps. Il faut faire des associations avec tous les mots étrangers sans référence à la langue maternelle. Alors, pour faire des progrès plus rapides sur le long terme, restez dans la langue cible et sacrifiez un peu cette ambition de compréhension orale totale sur le court terme !
Rédaction: Eric Burt
Pingback: Compréhension sans compréhension ...