Voici un extrait de l‘incipit*de L’Étranger, oeuvre littéraire si connue d’Albert Camus (1913-1960).
*L‘incipit est le début d’une oeuvre.
“Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier.
L’asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d’Alger. Je prendrai l’autobus à deux heures et j’arriverai dans l’après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J’ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit : « Ce n’est pas de ma faute. » Il n’a pas répondu. J’ai pensé alors que je n’aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n’avais pas à m’excuser. C’était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte. Après l’enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.”
Audio:
Explication des mots en gras:
L’asile de vieillards = expression péjorative pour dire “maison de retraite”, lieu où des personnes âgées vivent ensemble.
Veiller: Dans le contexte de l’extrait, il s’agit de “veiller un.e mort.e”, c’est à dire d’être physiquement près du mort / de la morte pour accompagner son esprit.
en deuil = habillé de noir
revêtir une allure = avoir l’apparence de
***
Questions:
Où se passe la scène?
Qui est le narrateur?
Que se passe-t-il?
Qu’est-ce qui est frappant dans cet inpicit?
***
Cet extrait est le début de L’Étranger d’Albert Camus. Dans l’incipit, on distingue directement le ton de l'”étranger”.
Le narrateur vient de perdre sa mère et ses émotions ne sont pas mises en avant. L’incipit ressemble à un texte informatif. Le narrateur a le ton d’un narrateur externe, d’un étranger qui observe la scène, alors qu’il devrait être un narrateur interne qui exprime ce qu’il ressent.
Cependant, le moment du décès n’est pas certain, preuve de la confusion crée par le choc de l’évènement récent. Le narrateur semble détaché, mais l’utilisation de “maman” montre le fait qu’il se sent comme un petit garçon face à cette situation. Sa réaction avec le patron montre qu’il est un peu perdu. Il veut se justifier. Il a du mal à comprendre son nouveau rôle, à trouver sa place dans cette situation qui lui échappe.
Le fait que les émotions ne sont pas exprimées montre justement que le narrateur est tellement sous le choc, qu’il a du mal à ressentir et à s’exprimer dans l’immédiat.